Le marché du travail en plein bouleversement
Chacun d’entre nous a entendu parler de la «Grande démission », ce phénomène socio-économique naissant, cette nouvelle vague qui nous vient des États Unis et qui, semble-t-il, gagne l’Europe, de manière progressive, inéluctable.
Mais de quoi s’agit-il ?
Depuis des années, en France, malgré un chômage encore persistant, beaucoup d’employeurs de toutes les branches professionnelles nous font part de leurs difficultés de recrutement. Tous les jours, des milliers de patrons, de directeurs, d’entrepreneurs recherchent en vain des conducteurs de bus, des infirmiers, des cuisiniers, des maçons qualifiés, des saisonniers, des ouvriers agricoles, des mécaniciens industriels…
Actuellement, la problématique prend de telles proportions que des bus ne partent plus, des services entiers dans certains hôpitaux ferment, et les déserts médicaux portent de mieux en mieux leur nom. En outre, des dizaines de milliers d’offres d’emploi ne trouvent toujours pas preneur. Dans le journal du Perche, en Normandie, un hôtelier-restaurateur cet été a présenté ses excuses à sa clientèle, car il n’avait pas réussi à embaucher suffisamment de serveurs pour répondre aux besoins estivaux. Il n’a eu d’autre choix que de fonctionner au ralenti et de refuser des clients !
Que se passe-t-il donc ?
Une première hypothèse, assez simple, nous vient immédiatement à l’esprit : l’inflation, la hausse des carburants et des matières premières, la crise économique majeure que nous commençons à vivre fait que le travail coûte de plus en plus cher, que ce soit pour l’employeur, qui ne peut raisonnablement répercuter la hausse des matières premières dans son prix de vente, et aussi pour le salarié qui, lui, doit dépenser de plus en plus d’argent dans ses trajets quotidiens. Aujourd’hui, un temps partiel payé au SMIC n’est donc plus jouable, si vous dépassez un certain nombre de kilomètres. Le nombre d’employés potentiels et mobilisables sur le marché du travail baisse donc en conséquence.
Cependant, un autre mouvement se profile, notamment chez les jeunes et aussi chez les cadres, de par leur volonté de changer de travail pour plus de 50% d’entre eux (voir l’article de la revue Capital du 16/06/22). La crise du Covid, avec ses confinements, son télétravail et ses mesures contraignantes a précipité une tendance déjà présente ces dernières années. Il s’agit moins de changer d’emploi que de changer de vie, de donner un nouveau sens à son existence, de retrouver un habitat plus vert, un cadre de vie plus écologique, plus sain et plus serein (voir article de Jacques le Goff du 26 septembre 2022 dans Ouest France, « Le travail en panne de sens »
Changer de vie revient, par ricochet, à changer de lieu, et donc d’emploi : d’après un observatoire national, le territoire français a connu 520 000 démissions par trimestre depuis le début de l’année !
Du jamais vu…
Dans ce contexte socio-économique en pleine mutation, la formation devient un secteur stratégique qui peut transformer cette crise générée par la «Grande démission» en une sorte d’opportunité pour le pays, afin que chaque personne puisse bénéficier de cette mobilité économique, et, dans la mesure du possible, se réaliser professionnellement, au bon endroit. En effet, dans les métiers en tension, ce sont les salariés qui maintenant sont en position de force (voir Grande démission : les salariés sont-ils en train de reprendre le pouvoir ? Émission de Sud Radio du 19 août 2022)
Faciliter la flexibilité de la population active par le développement des compétences douces, des savoir-être – savoir communiquer, apprendre à apprendre, gérer son stress, prévenir les conflits, organiser son temps… – ouvre pour chacun des possibilités nouvelles d’adaptation et donc d’intégration sur des postes de travail de plus en plus complexes, s’appuyant sur des savoirs périssables, et nécessitant davantage d’arbitrages individuels, de clairvoyance, de coopération et d’autonomie.
Le Bilan de Compétences, intégralement financé par le Compte Personnel de Formation, demeure un excellent outil de réorientation dans ce contexte économique, mouvant, en pleine accélération.
Pouvoir changer de poste ou d’horizon professionnel au moment adéquat, en mesurant la faisabilité de son projet, permet d’accompagner le changement global en cours, et de saisir individuellement des opportunités. Il n’en reste pas moins que beaucoup de salariés, à l’heure actuelle, préfèrent conserver leur poste, par sécurité, ou bien par crainte de la mauvaise décision ou d’un orage économique. C’est tout à fait louable, rationnel et même plutôt compréhensible.
Néanmoins, derrière ce qu’on appelle la « Grande démission », ne se cache -t-il pas, en définitive, de «petites démissions », celles qui consistent, pour nombres d’entre nous, en secret, dans des bureaux anonymes et froids, à abandonner nos rêves, nos valeurs, à renoncer à notre vraie vocation, et donc à nos désirs professionnels les plus profonds ?
Hervé Prouteau, consultant à « Compétences Pour Tous Normandie »